PARTIE 1 : SOPA et PIPA, l’origine des événements
Où que vous alliez sur Internet, vous n’avez pas pu échapper aux événements liés à la fermeture du site Megaupload. On en parle dans tous les médias en accusant les pirates de piller des œuvres protégées, en dénonçant les attaques réalisées par les Anonymous contre les majors… bref, tout pour nous faire comprendre que pirater, c’est voler, et que les pirates sont des gens sans foi ni loi.
Mais on ne nous explique pas le fond du problème. Le Web se rebelle parce qu’un site de téléchargement à fermé et les pirates du dimanche ne pourront plus stocker des milliers de fichiers (films, musiques…) gratuitement ? Le raccourci est facile. En réalité, ce n’est pas tout à fait ça.
Ce qu’il se passe en ce moment sur le Web, c’est une grande chasse aux pirates, dans le but de protéger le droit d’auteur.
Maintenant que l’effet de surprise est passé et que le Web retrouve ses esprits, il est temps de s’intéresser à tête reposée au phénomène dans sa globalité et de comprendre le pourquoi du comment. Le sujet est vaste et a entrainé des réactions en chaîne. Cet article a donc été découpé en plusieurs parties, afin d’en facilité la lecture et la compréhension. C’est un peu long à lire mais cela permet de comprendre la globalité du sujet sans attraper de migraine !
Arrêtons les amalgames
« Pirate » ça veut tout dire et rien dire. Il faut commencer par distinguer (très schématiquement) plusieurs types de pirates, souvent mis dans le même panier alors qu’en réalité ils n’ont rien à voir les uns avec les autres :
- Le pirate que je qualifierai de pirate « du dimanche » pour simplifier les choses : celui qu’Hadopi veut éliminer, celui qui télécharge et partage des films et des albums, sans les avoir achetés dans le commerce. Celui là acquière illégalement des œuvres protégées par le droit d’auteur. Que vous téléchargiez 1 chanson de temps en temps ou 125 films et séries par jour, cela ne fait pas vraiment de différence.
- Le « black hat » : c’est le seul pirate que vous pouvez véritablement redouter. C’est lui qui crée et diffuse les virus informatique, essaye de voler vos données bancaires, etc.
- Le « white hat » : celui-ci lutte contre le black hat. Il y en a dans toutes les sociétés d’informatique, il met au point des antivirus etc. Il passe son temps à réparer les dégâts que tentent de faire les pirates plus dangereux. (Là déjà vous voyez que la connotation négative du terme « pirate » perd tout son sens).
- L’Anonymous : ce n’est pas une catégorie de pirate mais il fait partie d’une entité distincte des autres et joue un rôle important dans l’actualité. Il faut comprendre le fonctionnement de ce groupe, rarement détaillé dans les médias. Effectivement, ces pirates sont hors-la-loi dans la mesure où leurs méthodes employées ne sont pas légales. Ils provoquent des attaques DDOS (Déni de Service Distribué) pour rendre un site inaccessible et menacent de dévoiler des informations sensibles. On les a comparés récemment à Al Qaida. Le raccourci est un peu trop rapide. Certes, les méthodes sont condamnables mais les causes annoncées sont justes : ils luttent contre toute forme de censure sur Internet. C’est-à-dire que lorsque le gouvernement tunisien contrôle l’information en plein Printemps Arabe, ils interviennent. Lorsque les cartels de la drogue au Mexique sont tout-puissants, ils luttent. Lorsqu’un réseau pédophile sévit sur la Toile, ils agissent. La liste de leurs victimes et longue : l’église de scientologie, le FBI, le gouvernement égyptien, le gouvernement syrien, la Bourse de New-York… Cependant il est délicat de les qualifier de héros, il faut noter que si les causes qu’ils défendent semblent justes, ils peuvent aussi s’attribuer certains succès et passer sous silence d’autres actes, qui pourraient être condamnables. Car le fonctionnement du groupe est tel que leurs dires sont généralement invérifiables.
Oui, pirater est un délit. Mais si le FBI met son nez dans les affaires des sites violant le droit d’auteur, c’est que l’affaire est plus complexe qu’il n’y parait. On en parle autant parce que Megaupload était extrêmement populaire (le 13ème site le plus visité au monde !), parce que les arrestations ont été impressionnantes, que les grands acteurs du Web ont pris position et que des représailles ont été lancées, mais toutes ces informations misent ensemble forment un joli fourbi sans queue ni tête ! Au final, on ne sait plus très bien qui lutte contre quoi…
Commençons par le commencement pour y voir plus clair !
Les lois SOPA et PIPA qui ont déchainé les foules
C’est avec elles que tout a commencé.
La loi SOPA, en résumé, c’est une proposition de loi faite à la Chambre des représentants des Etats-Unis le 26 octobre 2011 par le républicain Lamar S.Smith. Littéralement « Stop Online Piracy Act », ce projet de loi a pour objectifs d’élargir les capacités d’application du droit d’auteur et des ayants droit pour lutter contre sa violation online.
Ainsi, la loi SOPA, dans sa première version, prévoyait une série de mesures contre le piratage en ligne :
- Suspension des revenus publicitaires et des transactions commerciales en provenance de services comme PayPal,
- Interruption du référencement sur les moteurs de recherche (soit l’impossibilité pour l‘internaute de trouver le site dans Google),
- Blocage de l’accès au site depuis les principaux opérateurs Internet. Autrement dit, votre FAI recevrait l’ordre de vous empêcher de vous rendre sur le site visé. (Volet aujourd’hui heureusement abandonné),
- Empêcher l’accès aux sites, en exigeant le retrait de tout lien y conduisant depuis les moteurs de recherche.
Avec SOPA, le Département de la Justice des Etats-Unis pourrait réclamer des sanctions judiciaires contre les sites soupçonnés d’enfreindre la législation sur le copyright ou de faciliter ce type d’infraction, et ce, même si le site en question est situé hors de la juridiction des USA. Mais pour réaliser ce type de filtrage, il faudrait bloquer des adresses IP et cela soulèverait des problèmes liés au respect de la vie privée de l’internaute : concrètement, votre FAI devrait prendre connaissance des sites que vous avez visités.
Dans un second temps, SOPA compte renforcer les pénalités déjà existantes contre les sites de vidéo en streaming, les sites de vente de médicaments contrefaits et de matériel militaire. Le streaming non autorisé de contenus protégés deviendrait alors un crime.
En ce qui concerne la loi PIPA (« Protect IP Act »), c’est la même chose sauf que cette loi a été proposée le 12 mai 2011 par le démocrate Patrick Leahy au Sénat Américain et non à la Chambre des représentants. Son but est aussi de donner des outils au gouvernement et aux ayants-droits afin de limiter l’accès aux sites de piratage et de contrefaçon hébergés hors des USA.
Les problèmes soulevés par ces projets de lois
D’une part, la vie privée de l’internaute est menacée. Ça vous dirait que votre FAI aille fouiller dans la liste de tous les sites que vous avez visités pour voir si vous n’avez pas téléchargé le dernier album de Justin Bieber ? Adieu aussi le streaming, devenu alors délictuel !
Ensuite, la méthode proposée n’est pas vraiment populaire. Forcer les FAI à bloquer d’abord l’accès à des sites soupçonnés illicites et laisser les internautes et webmasters se débrouiller après pour prouver qu’ils ne sont pas coupables est une pratique quelque peu expéditive. Imaginons que sur un blog français, on trouve un commentaire comportant un lien vers du contenu enfreignant ce droit d’auteur. Et bien le blog serait rendu inaccessible sur le territoire américain. L’administrateur du blog n’en est pas un criminel pour autant. C’est aussi très gênant pour les sites de commerce : prenons le même exemple, un lien pointant vers du contenu illicite au sein d’un commentaire et le site perd tout le marché américain!
Tout cela dépasse les frontières américaines et la justice du pays. Les intermédiaires techniques (FAI, hébergeurs de sites…) sont appelés à censurer des sites sans aucun contrôle judiciaire.
Ces mesures font peur. D’abord pour toutes les raisons citées ci-dessus, mais aussi parce qu’elles sont perçues comme le pas de trop vers un contrôle strict de l’Internet, et ce, afin de servir des intérêts économiques au détriment des libertés individuelles.
Jérémie Zimmermann, fondateur de la Quadrature du Net, a ainsi déclaré dans une interview donnée au journal Le Point : « Il y aurait une pression exercée sur les fournisseurs d’accès à Internet et sur les hébergeurs. Par exemple, les sites en question pourraient être déréférencés des moteurs de recherche, c’est-à-dire qu’ils deviendraient tout bonnement introuvables sur la Toile. Il est aussi prévu de bloquer leurs ressources financières en s’attaquant aux comptes PayPal et Mastercard, comme cela a été le cas pour WikiLeaks. Les moyens mis en œuvre sont colossaux et disproportionnés. C’est comme utiliser une bombe pour tuer une mouche ! Et tout cela pour répondre aux desiderata de l’industrie du divertissement. […] En Espagne, les tribunaux ont jugé que le site Rojadirecta, qui ne faisait que rediriger les internautes vers d’autres sites diffusant des matchs de sport en streaming, était licite. A deux reprises ! Pourtant, les autorités américaines ont décidé de « confisquer » le nom de domaine du site. Du coup le site a disparu et n’a pu réapparaître qu’après avoir changé de nom. Et ce genre d’actions s’est produit plus de 300 fois l’an dernier. »
Hillary Clinton avait déclaré vouloir lutter contre les dictatures exerçant une censure sur le Web. Ironie du sort, aujourd’hui le monde entier pointe du doigt les USA pour ces mêmes chefs d’accusations.
Finalement, que reste-il des projets de lois ?
Après avoir fixé la date de la présentation de la loi devant la Chambre des représentants au 15 décembre 2011, le débat a été repoussé au mois de janvier 2012. Puis, les manifestations, pétitions et amendements intervenus entre temps ont finalement eu raison des lois, suspendues le 20 janvier dans l’attente d’un accord plus large.
On en reparle donc une fois que l’accord en question aura été trouvé…
Partie 2 : Une vague de contestation mondiale
Partie 3 : Le rôle des Anonymous dans les événements récents
Partie 4 : L’ACTA : un mystérieux traité mondial
Sources :
http://sopastrike.com/numbers/
http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2011/may/tradoc_147938.pdf
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=P7-RC-2010-0154&language=FR
http://fr.wikipedia.org/wiki/Megaupload
http://fr.wikipedia.org/wiki/Stop_Online_Piracy_Act#Suspension_de_la_proc.C3.A9dure
http://tempsreel.nouvelobs.com/la-fermeture-de-megaupload/20120113.OBS8709/megaupload-nous-ne-sommes-pas-un-site-pirate-seulement-un-prestataire-de-services.html
http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0201856203564-le-demantelement-de-megaupload-provoque-une-onde-de-choc-sur-internet-278357.php
http://mashable.com/2012/01/20/sopa-is-dead-smith-pulls-bill/#44253Jan-20-SOPA-Killed