PARTIE 4 : L’ACTA, un mystérieux traité mondial
A la différence de SOPA, l’ACTA n’a pas été abandonné, bien au contraire. Le traité a été signé par l’Union Européenne le 26 janvier 2012 mais pas ratifié, pour cela il faut encore que les gouvernements le traduisent en loi et la fasse voter au niveau national.
En quoi consiste l’ACTA ?
L’Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC, ou ACTA en anglais – Anti-Counterfeiting Trade Agreement) est un traité international visant à lutter contre les violations des droits de propriété intellectuelle. Son champ d’action : les produits contrefaits, les médicaments génériques et les infractions au droit d’auteur sur Internet.
Si l’intitulé de l’accord suggère qu’il traite les violations de brevets, des contrefaçons, il s’étend en réalité aussi au piratage et infraction au droit d’auteur.
Selon la Commission européenne, l’ACTA vise à améliorer les standards internationaux pour mener des actions contre les atteintes à grande échelle au droit de la propriété intellectuelle. Officiellement, l’ACTA a pour but « de mettre a profit les règles internationales existantes dans le domaine de la propriété intellectuelle, en particulier sur les accords TRIP, et projette d’aborder des problèmes d’application là où les participants ont remarqué que le cadre juridique international existant n’existe pas ou doit être renforcé ». L’idée initiale est de protéger la propriété intellectuelle au niveau international en empêchant la contrefaçon, afin de sauvegarder les investissements dans la recherche et le développement de produits industriels et culturels.
Sont également prévu des amendes contre le piratage à une échelle commerciale, y compris lorsque ce dernier est réalisé sans but lucratif (le P2P par exemple).
En ce qui concerne la lutte contre la contrefaçon, le texte impose des mesures susceptibles de bloquer la circulation de médicaments génériques, qui pourraient être traités comme des contrefaçons dans certains pays où ils transitent, bien qu’étant approuvés par l’OMS et n’étant plus sous monopole de brevets dans leur pays de destination.
Comment ce sera appliqué à Internet ?
Le texte prévoit une procédure d’injonction obligeant tout tiers violant un droit, ou présumé violer un droit, ou susceptible de détenir des informations, à remettre à la justice la totalité des éléments permettant de lutter contre ces fraudes supposées.
Ainsi, les FAI devraient coopérer et divulguer directement aux victimes présumées des informations sur leurs clients, mais aussi prévenir et mettre fin à la contrefaçon, faisant ainsi office de police du copyright. L’eurodéputé Françoise Castex a déclaré à ce propos « Le traité propose de responsabiliser les intermédiaires techniques, c’est-à-dire les fournisseurs d’accès à Internet. C’est aberrant ! Lorsque l’on achète par correspondance une contrefaçon, le facteur n’est en rien responsable. »
Ainsi, les ayants-droits auraient la possibilité de réclamer aux FAI les informations personnelles d’un internaute suspecté d’avoir téléchargé illégalement un contenu sous copyright, sans avoir à recourir à un juge avant.
Les paquets de données entrant et sortant de votre PC devront être inspectés par votre FAI, ainsi si vous envoyez ou recevez des données sous copyright, votre accès à Internet sera coupé et/ou vous serez susceptible d’être poursuivi en justice.
Du moins, c’est ainsi que la première version du texte laissait voir les choses. Ensuite, lorsque WikiLeaks révéla des ébauches du texte, une légère modification changea tout le sens de la phrase, pour finalement ne plus obliger les FAI en rien. Est-ce que l’ACTA peut entrainer le blocage de sites ? Le traité reste très confus à ce sujet. Dans l’article 8, on peut lire que tous les signataires du traité doivent être capables de faire cesser l’activité d’un contrevenant et de forcer une tierce partie sous sa juridiction à « empêcher les biens liés à une infraction d’un droit de propriété intellectuelle d’entrer sur les canaux commerciaux ». Dans le cadre d’Internet, le blocage des sites est facilement envisageable pour bloquer les canaux de distribution.
La peur d’une censure totale de l’Internet
Certains craignent aujourd’hui que l’application de cette loi dérive au profit des compagnies qui accusent Internet de menacer leur modèle économique et que les artistes, penseurs, auteurs ne seront pas les bénéficiaires de cette mesure. Les détracteurs de l’ACTA annoncent déjà la mise à mort de YouTube, Twitter, etc. et mettent le doigt sur l’impossibilité d’améliorer, d’approfondir et de reprendre quoi que ce soit si toutes les idées sont verrouillées.
Neelie Kroes, commissaire européenne chargée des nouvelles technologies, a réagi à la loi SOPA en la qualifiant de « mauvaise législation » sur son compte Twitter et estime qu’une « régulation de l’Internet doit être efficace, proportionnée et préserver les bénéfices d’un réseau ouvert » et d’ajouter « La Commission suit de près les développements aux Etats-Unis. Les gens sont très préoccupés par l’accès à Internet. Nous portons un vif intérêt à tout développement à ce sujet dans le monde. Nous ne proposons pas notre propre version de SOPA ».
Viviane Reding, commissaire européenne chargée de la Justice, estime également que « la protection des créateurs ne doit jamais être utilisée comme un prétexte face à la liberté de l’Internet » et assure que l’UE « ne bloquera jamais l’Internet ».
Des négociations en secret
Les négociations autour du traité ACTA ont débutées en 2007 dans le plus grand secret, laissant envisager le pire sur le contenu exact du texte. Certains disent que les négociations ont débutées sous l’égide d’un certain nombre de lobbyistes et que le traité est contradictoire avec la Convention européenne des droits de l’homme ou encore la Charte européenne des droits fondamentaux. La non transparence et l’absence de débats et consultations autour du projet inquiète.
En 2008, des ébauches du texte ont fuitées par le biais de WikiLeaks mais ce n’est qu’en 2010 qu’une première version officielle est parue.
Signé fin janvier 2012 par 22 Etats membres de l’UE et de nombreux autres pays (USA, Australie, Japon, Maroc…), l’ACTA est encore loin d’être ratifié mais beaucoup craignent une censure généralisée de l’Internet. Le contexte entourant l’annonce de ces négociations longtemps restées secrètes inquiète l’opinion publique.
Suite à ces accords, des manifestations ont eu lieu en Europe. La Pologne a fini par suspendre la ratification du projet de loi le temps de vérifier que le traité est « sûr pour les citoyens ».
Après la Pologne, la République-Tchèque et la Slovaquie ont également suspendu la ratification du traité. « En aucune façon le gouvernement n’admettrait une situation où les droits civiques et le libre accès à l’information seraient menacés » a déclaré le premier ministre tchèque, Petr Necas.
En France des manifestations anti-ACTA sont prévues le 11 février et le Parlement Européen devrait voter au printemps.
Partie 1 : SOPA et PIPA, l’origine des événements
Partie 2 : Une vague de contestation mondiale
Partie 3 : Le rôle des Anonymous dans les événements récents