On observe ces dernières années une tendance très particulière et propre au Web : le journalisme citoyen. Il y a plusieurs années, on n’aurait jamais imaginé notre voisin de bureau en auteur de « billets » maniant la prose virtuelle, ou en grand « citoyen reporter ». A croire que les super héros ne sont pas les seuls à mener une double vie. Désormais, en plus de votre journée de travail habituelle, vous pouvez flirter avec le métier de journaliste ! Il vous suffit de commenter l’actualité en ligne et de partager des informations sur les sujets de votre choix : en quelques mots et quelques clics, vous voilà devenu journaliste citoyen !
Naissance et développement du journalisme citoyen
En 2007, un article de Libération présentait Abraham Zapruder, qui a filmé l’assassinat de J.F Kennedy avec sa caméra amateur en 1963, comme l’ancêtre du journalisme citoyen. Aujourd’hui, devenir « citoyen reporter » est un jeu d’enfant avec la prolifération des smartphones, des blogs, des sites de vidéos en ligne… permettant de diffuser les informations à grande échelle et de manière instantanée. Certains ont d’ailleurs su trouver comment tirer profit de ces nouveaux outils en utilisant la fonction caméra de leurs mobile et en revendant ensuite des images exclusives, à la presse people par exemple, tels de vrais paparazzi.
Sur Internet, un parfait exemple du journalisme citoyen est Wikipedia, l’encyclopédie en ligne rédigée par les internautes. Tout le monde peut l’alimenter en contenu et l’audience est au rendez-vous. L’encyclopédie concentre, en France, plus d’un million d’articles. Wikipedia est un précurseur qui a donné le « la », pour ensuite voir la naissance des blogs et des réseaux sociaux. Ainsi, en France, plus de la moitié des utilisateurs de PC se sont déjà livrés à une activité d’autoproduction créative. Avec l’arrivée du Web social (blogs, réseaux sociaux, wikis), on estime qu’Internet est utilisé à 56% pour prendre la parole. Les blogs, par exemple, ont donné la parole aux experts. Quiconque qualifié dans un domaine peut en informer les autres, parfois même mieux qu’un journaliste.
Le journaliste citoyen
Chaque internaute a désormais la possibilité de partager ses idées, images, vidéos avec le monde entier. Le citoyen est ainsi devenu un émetteur et non plus seulement un récepteur. On appelle ces personnes transformées en médias elles-mêmes des « citoyens reporters », des internautes qui souhaitent témoigner et s’exprimer sur les sujets d’information qui les passionnent.
Avec la démocratisation d’Internet, le journaliste amateur a trouvé son royaume. Ce nouvel élan journalistique reflète plusieurs transformations sociales. En effet, la tendance à l’individualisme contemporain pousse chaque personne à se construire une identité distinctive et à l’afficher au grand jour. Or, grâce à Internet, tout le monde peut prendre la parole et clamer haut et fort ses opinions, en s’adressant à un très large public.
Par ailleurs, on observe que les journalistes amateurs ne sont pas les seuls à défier les experts. Pensez à toutes ces émissions de télévision dans lesquelles un novice peut s’illustrer et développer sa passion de manière quasi professionnelle (Masterchef, Incroyable Talent, La Nouvelle Star…). Ce phénomène nouveau porte un nom : le « pro-am », combinaison de « professionnel-amateur ». Agoravox, le site d’actualités alimenté par des rédacteurs volontaires et non professionnels, illustre parfaitement cette tendance. Au risque d’une uniformisation des informations et de la vérité ?
La relation entre journaliste et lecteur a évolué
Le lecteur, aujourd’hui, ne se contente plus de prendre l’actualité des grands médias pour argent comptant. Avec Internet, il peut lui aussi aller chercher les informations, y compris celles qui ne sont pas relayées par la presse, les recouper et avoir une vision plus large et plus complète du sujet. A cela, s’ajoute une autre révolution : l’internaute peut créer du contenu, donner son avis, rejoindre des communautés. Avec les blogs, il peut donner son opinion, critiquer l’actualité, témoigner, raconter un événement et être lu par des milliers de personnes, qui lui donneront à leur tour leurs avis.
Mis en ligne par quatre anciens journalistes de Libération, Rue 89 est un compromis intéressant entre journalisme professionnel et amateur. Le blog laisse une place à l’internaute et mixe trois niveaux d’informations : le premier niveau concerne la rédaction interne, le second fait appel à des experts, et le troisième compte sur la participation des internautes. Le ton employé est plus libre que celui d’un média traditionnel et les lecteurs du site sont là pour participer et débattre, avec des commentaires poussant à la réflexion et à la discussion.
Avec la multiplication d’informations dites « citoyennes » sur de nombreux autres sites Internet, tout porte à croire que la cohabitation entre journaliste et lecteur est aujourd’hui devenue inévitable…
Les dérives et dangers de ce phénomène
Certains encouragent cet élan « démocratique », d’autres dénoncent une porte ouverte au « grand n’importe quoi ». L’émergence des blogs a donné le goût à certains de confier aux autres leurs points de vue sur l’actualité ou les sujets qui les passionnent, mais qui n’intéressent pas forcément la majorité des internautes. Se pose alors la question de l’utilité de ce type de contenu en ligne, qui n’est pas toujours vérifié et qui peut parfois se révéler être d’avantage du registre de la propagande.
Le journalisme citoyen pose une autre sorte de problème, beaucoup plus dérangeant : la véracité des informations. Dans d’autres secteurs, on a donné sa chance à Monsieur-Tout-le-Monde dans des émissions TV (télé-crochet et autres émissions culinaires, où les candidats se mesurent à des professionnels). Le domaine de l’information n’a pas échappé à cette tendance participative. Mais à la différence d’un journaliste qui doit avancer des sources sûres et rester objectif, l’internaute, lui, n’a pas accès à toutes ces sources et peut être aussi subjectif qu’il le souhaite. Etant donné que n’importe qui peut écrire n’importe quoi, on peut imaginer toutes les dérives que cela peut créer.
Toutefois, journaliste et journaliste citoyen sont deux personnes radicalement différentes. Le journaliste citoyen ne pourra jamais remplacer un journaliste professionnel. Ce n’est pas parce que tout le monde dispose du même instrument que la culture sera uniformisée. La disparition des médias traditionnels et des journalistes au profit des blogueurs n’est pas envisageable. En revanche, les deux entités sont amenées à vivre en parallèle sur la Toile. Certains sujets ne sont pas traités dans la presse, et pourtant ils intéressent une partie de la population. C’est là que les deux fonctions se complètent : les amateurs permettent de médiatiser ce qui ne trouve pas écho sur d’autres supports.