Ces derniers temps, on a beaucoup parlé d’un groupe de pirates qui sévit sur le Net : les Anonymous. Ils prennent pour cibles des banques, des gouvernements, des boutiques en ligne… Mais quelles sont leurs motivations ? Pour qui, pour quoi prennent-ils ces risques ? Comment peut-on les identifier ?
Ils sont actifs depuis des années déjà, mais ces derniers mois on ne parle que d’eux sur Internet. Ces anonymes qui luttent contre la censure et militent pour la liberté d’expression sont-ils dangereux ? Quel pouvoir peuvent-ils avoir ? Ils sont activement recherchés par la police et sont assimilés à des pirates informatiques mais leurs actions sont-elles réellement répréhensibles, moralement comme pénalement ? Ce groupe d’inconnus qui se cache derrière des masques soulève beaucoup de questions et ont un mode opératoire très intéressant que je vais tenter de décrypter pour vous. Cela fait plusieurs années qu’ils agissent contre ce qu’ils estiment être des freins aux libertés fondamentales.
Qui sont les Anonymous ?
Les Anonymous, c’est vous, c’est moi, c’est l’ingénieur du bureau d’en face, c’est l’adolescent féru d’informatique, c’est l’informaticien discret… Quiconque ayant un minimum de connaissances en informatique peut entrer dans cette communauté.
Ils considèrent Internet comme un espace dans lequel il ne doit y avoir aucune règle, aucune loi. Les thématiques abordées par le groupe de cyber-activistes sont larges pour attirer le plus de membres possible. Ils mettent un point d’honneur à défendre la liberté d’expression et l’accès à la culture.
Récemment, deux jeunes Français et cinq Anglais ont été arrêtés pour avoir participé à plusieurs opérations des Anonymous (à l’encontre des sites de MasterCard et PayPal, entre autres). Parmi les personnes faisant partie du réseau déjà interpelées, on trouve des gens âgés de 14 à 25 ans. Des passionnés d’Internet mais pas forcément doués de compétences techniques très poussées.
Bien que l’on retrouve des références plutôt jeunes dans le langage et les thématiques des Anonymous, il est difficile d’en établir un portrait robot. Ceux qui se font arrêter sont les moins prudents, les moins compétents techniquement et aussi les moins conscients des risques. Ceux qui sont réellement compétents au sein du réseau savent comment ne pas se faire repérer et connaissent les précautions à prendre. Car en effet, la première compétence d’un Anonymous est logiquement de rester anonyme avant tout.
Tiré de la bande-dessiné « V for Vendetta » et du film éponyme, le masque qu’ils utilisent n’est qu’un symbole, il n’indique ni un âge, ni un portrait robot type, ni même une génération qui pourraient représenter les Anonymous.
Le masque derrière lequel ils se cachent symbolise donc ce rebelle britannique très cultivé, qui affronte le roi car il bride la liberté d’expression et abrutit la population en manipulant les médias. Le personnage utilise donc ce masque pour défendre la liberté d’expression et l’accès à la culture. On peut d’ailleurs trouver comment le fabriquer sur Internet.
On peut noter une part de dérision dans leur présentation et leur mise en scène mais tout de même un fondement construit qui consiste à abroger toute censure quelle qu’elle soit et toute manipulation des foules.
Ce groupe d’inconnus qui, du jour au lendemain, fait la Une de l’actualité à travers le monde en montant des opérations dignes d’une légion, sait utiliser les moyens qu’il a à sa disposition : à savoir Internet, pour lutter contre toute forme de censure sur Internet.
L’origine du réseau
A l’origine, les Anonymous se sont révélés en luttant contre la scientologie. C’est la première cause contre laquelle ils se sont battus. En effet, en 2008, on a vu en ligne une vidéo dans laquelle le célèbre porte parole de la secte, Tom Cruise, parlait de la scientologie. Il y déclarait qu’il comptait « persuader tout le monde qu’il est de sa responsabilité d’éduquer les populations, de créer une nouvelle réalité, qu’ils ont la responsabilité de dire : il faut faire comme ça, car en faisant comme ça, les gens vont mieux. Je fais ce que je peux, et je le fais comme je fais tout le reste. Je ne fais pas les choses à moitié. ». Mais cette vidéo était destinée à l’usage interne de la secte pour galvaniser ses troupes et cette fuite provoqua la colère de ses membres, qui la firent immédiatement retirer du Web.
Cette censure est intolérable pour les Anonymous. Ils appellent à la guerre totale contre les scientologues et leurs adressent rapidement un message :
{youtube}gFbe0pCAZE8{/youtube}
C’est cette vidéo qui popularisa les Anonymous. Beaucoup de personnes ce sont retrouvées dans le message, ou dans la forme utilisée.
En effet, le terme « Anonymous » est en quelque sorte un gag. Vous l’avez peut-être déjà vu sur Internet, ce terme désigne les auteurs de commentaires qui ne signent pas leurs écrits sur les sites et les blogs. L’internaute qui ne signe pas son commentaire apparaît sous le nom « Anonymous ». Alors le nom du réseau est né de cette blague : si on ignore que le terme « Anonymous » désigne chaque internaute qui ne signe pas ses propos, on pourrait croire qu’il s’agit d’une seule et même personne, qui serait alors particulièrement active sur la Toile. Le nom du groupe est ainsi né.
Leurs méthodes
Ils procèdent toujours par opérations DDOS (Déni de Service Distribué), c’est à dire qu’ils rendent indisponibles les sites Internet de leurs cibles. Pour ce faire, contrairement aux groupes de pirates mafieux qui infectent des millions de PC dans le monde, ils utilisent un logiciel de leur cru (LOIC) sur leurs propres machines afin que tous, à un moment précis, envoient des requêtes mal formulées au serveur, hébergeant le site Internet qu’ils ont pour cible. Il sera donc incapable de traiter ces demandes et ne pourra plus fonctionner correctement. En effet, cela revient à poser des questions au serveur qu’il ne parvient pas à comprendre, et tant qu’il n’y répond pas, il ne peut pas traiter autre chose. Le serveur, alors incapable de gérer toutes ces requêtes erronées, “plante” ou sature.
Cette pratique plutôt simple démontre qu’avec un faible nombre d’attaquants, on peut obtenir de grands résultats. Pour mettre ces opérations en place, ils se rassemblent sur des forums spécialisés, fréquentés uniquement par des Anonymous. Sur ces canaux de discussion, ils discutent des prochaines cibles, des opérations à mettre en œuvre et élaborent leurs plans d’actions.
Le réseau Anonymous est différent des réseaux terroristes, on ne rejoint pas cette communauté comme on rejoindrait Al-Qaïda ou une secte. Ces cyber-militants ne s’en prennent qu’aux réseaux informatiques et ne luttent que pour la liberté d’expression à travers le monde. Ils ne créent pas d’outils de piratage. Il en existe déjà qui permettent de contourner la censure sur le Net, par exemple, et les Anonymous se contentent en réalité de les démocratiser et de les distribuer. Ils distribuent en quelque sorte les modes d’emplois des instruments, il s’agit plus de partage que de création d’outils lourds.
Leur objectif est de faire parler d’eux via la facilité d’utilisation de l’outil Internet.
Les Anonymous dans l’actualité
Recemment, les Anonymous ont fait beaucoup parler d’eux dans l’affaire WikiLeaks et dans les récents événements en Tunisie et en Egypte, entre autres. En effet, en Egypte, ils ont adressé ce message d’avertissement au gouvernement avant de faire crouler plusieurs sites gouvernementaux pour faire pression sur Hosni Moubarak :
{youtube}PfWbe-mxMAQ{/youtube}
Du côté de la Tunisie, ils se sont lancés également dans une guerre numérique à l’encontre du gouvernement : « Le temps de la vérité est arrivé, expriment les Anonymous sur le site Public Pad, Le temps pour que les gens s’expriment librement, et que leurs voix soient entendues partout dans le monde. Le gouvernement tunisien veut contrôler le présent, par le mensonge et la désinformation, pour imposer une voie vers le futur en cachant la vérité à ses citoyens. Nous ne garderons pas le silence pendant que cela arrive. Anonymous a entendu le cri de liberté du peuple tunisien. Anonymous est prêt à aider le peuple tunisien dans sa lutte contre l’oppression. Ceci est un avertissement pour le gouvernement tunisien: la violation de la liberté d’expression et de l’information de ses citoyens ne sera pas tolérée. Les attaques continueront jusqu’à ce que le gouvernement tunisien respecte les droits de ses citoyens à la liberté d’expression et de l’information et arrête la censure de l’Internet. Seul le gouvernement tunisien peut arrêter cette situation. Libérez l’Internet, et les attaques prendront fin. Continuez l’oppression, et ces attaques ne seront que le début du combat. »
Plusieurs sites du gouvernement ont donc été bloqués, au point que l’Agence Nationale de la Sécurité Informatique de Tunisie affichait un niveau d’alerte élevé.
Avant ces événements, ils sont revenus sur le devant de la scène en prenant la défense du très controversé site WikiLeaks. Ils ont mis en place une opération nommée « Opération Payback », visant à s’attaquer aux ennemis de WikiLeaks. En lançant des attaques DDOS contre plusieurs sociétés et institutions, dont les sites d’Amazon, de Paypal, de MasterCard, de Visa, et de Sarah Palin. De son côté, Kristinn Hrafnsson, le nouveau porte-parole de WikiLeaks, a déclaré à propos de ces attaques : « Nous n’encourageons ni ne condamnons cela. Il s’agit d’une réflexion publique ». Mais les Anonymous ne frappent pas au hasard et encore moins sans raison. Le lobbying des USA en faveur de Visa et Master Card a été prouvé, Sarah Palin accusait Julian Assange d’être « un agent anti-américain avec du sang sur les mains », et Paypal avait bloqué le compte de WikiLeaks sur demande de l’Etat américain.
Dans les récents événements qui ont fait la Une de l’actualité, les Anonymous ont gagné en puissance, leurs rangs ont probablement grandi, tout comme leur pouvoir et leur influence. Cette guerre plutôt pacifique contre toute forme de censure sur Internet reste tout de même risquée. Les attaques par dénis de service (DDOS) utilisées sont très pénalisantes car elles portent un préjudice direct à l’activité des sites qui en sont victimes. L’atteinte au système de traitement automatisé de données est évidemment illégale et passible d’une peine allant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement (dans le cadre de l’introduction ou l’altération de données) et 45 000 euros d’amende (art. L. 323-1 à 323-3 du nouveau code pénal).